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DESCENTE DU RHONE.

tant ils nous parurent peu propres. Les bateliers et un domestique de mon père, qu’on avait laissés de garde près du bateau, vinrent nous prévenir au point du jour que le vent était tombé. Tous les paysans et matelots prirent alors des pelles et des pioches, et après quelques heures d’un travail fort pénible, ils remirent la barque à flot, et nous pûmes continuer notre voyage vers Avignon, où nous arrivâmes sans autre accident. Ceux que nous avions éprouvés furent augmentés par la renommée, de sorte que le bruit courut à Paris que mon père et toute sa suite avaient péri dans les eaux du Rhône. L’entrée d’Avignon, surtout lorsqu’on arrive par le Rhône, est très pittoresque ; le vieux château papal, les remparts dont la ville est entourée, ses nombreux clochers et le château de Villeneuve, placés en face d’elle, font un effet admirable ! Nous trouvâmes à Avignon Mme Ménard et une de ses nièces, et passâmes trois jours dans cette ville, dont nous visitâmes les charmants environs, sans oublier la fontaine de Vaucluse. Mon père ne se pressait pas de partir, parce que M. R*** lui avait écrit que les chaleurs, encore très fortes dans le Midi, l’avaient forcé de ralentir sa marche, et mon père ne voulait pas arriver avant ses chevaux.

D’Avignon, nous allâmes à Aix. Mais arrivés sur les bords de la Durance, qu’on traversait alors en bac, nous trouvâmes cette rivière tellement grossie et débordée qu’il était impossible de passer avant cinq ou six heures. On délibérait pour savoir si on allait retourner à Avignon, lorsque le fermier du bac, espèce de monsieur, propriétaire d’un charmant petit castel situé sur la hauteur à cinq cents pas du rivage, vint prier mon père de venir s’y reposer jusqu’à ce que ses voitures fussent embarquées. Il accepta, espérant que ce ne serait que pour quelques heures ; mais il paraît que de grands orages