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DÉPART POUR L’ITALIE.

sur la tête, et, comme je la passais fréquemment hors de la portière, parce que la voiture me donnait le mal de mer, il advint que pendant la nuit, et lorsque mes compagnons dormaient, ce bonnet tomba sur la route. La voiture attelée de six vigoureux chevaux allait un train de chasse, je n’osai faire arrêter et je perdis mon bonnet. Mauvais présage ! Mais je devais éprouver de bien plus grands malheurs dans la terrible campagne que nous allions entreprendre. Celui-ci m’affecta vivement ; cependant, je me gardai bien d’en parler, de crainte d’être raillé sur le peu de soin que le nouveau soldat prenait de ses effets.

Mon père s’arrêta à Mâcon, chez un ancien ami. Nous passâmes vingt-quatre heures chez lui et continuâmes notre course vers Lyon. Nous n’en étions plus qu’à quelques lieues et changions de chevaux au relais de Limonest, lorsque nous remarquâmes que tous les postillons avaient orné leurs chapeaux de rubans tricolores, et qu’il y avait des drapeaux pareils aux croisées de toutes les maisons. Nous étant informés du sujet de cette démonstration, on nous répondit que le général en chef Bonaparte venait d’arriver à Lyon !… Mon père, croyant avoir la certitude que Bonaparte était encore au fond de l’Égypte, traita cette nouvelle de conte absurde ; mais il resta confondu, lorsque, ayant fait appeler le maître de poste qui arrivait à l’instant de Lyon, celui-ci lui dit : « J’ai vu le général Bonaparte que je connais parfaitement, car j’ai servi sous ses ordres en Italie. Il loge à Lyon, dans tel hôtel.

Il a avec lui son frère Louis, les généraux Berthier, Lannes et Murat, ainsi qu’un grand nombre d’officiers et un mameluk. » Il était difficile d’être plus positif. Cependant la révolution avait donné lieu à tant de supercheries, et les partis s’étaient montrés si ingénieux à inventer ce qui