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INTRIGUES DE SIEYÈS.

silence sur ses pouvoirs secrets, il assista à la bataille de Zurich, puis revint à Paris, sans que Masséna se fût douté que ce modeste capitaine avait eu entre ses mains le pouvoir de le priver de la gloire de remporter une des plus belles victoires de ce siècle.

La destitution imprudente de Masséna eût probablement entraîné la défaite du général Chérin, l’entrée des Russes en France, celle des Allemands à leur suite, et peut-être enfin le bouleversement de l’Europe ! Le général Chérin fut tué à la bataille de Zurich sans s’être douté des intentions du gouvernement à son sujet. La victoire de Zurich, tout en empêchant les ennemis de pénétrer dans l’intérieur, n’avait cependant donné au Directoire qu’un crédit momentané ; le gouvernement croulait de toutes parts : personne n’avait confiance en lui. Les finances étaient ruinées ; la Vendée et la Bretagne étaient en complète insurrection ; l’intérieur dégarni de troupes ; le Midi en feu ; les Chambres en désaccord entre elles et avec le pouvoir exécutif ; en un mot, l’État touchait à sa ruine.

Tous les hommes politiques comprenaient qu’un grand changement était nécessaire et inévitable ; mais, d’accord sur ce point, ils différaient d’opinion sur l’emploi du remède. Les vieux républicains, qui tenaient à la Constitution de l’an III, alors en vigueur, crurent que pour sauver le pays il suffisait de changer quelques membres du Directoire. Deux de ces derniers furent renvoyés et remplacés par Gohier et Moulins ; mais ce moyen ne fut qu’un très faible palliatif aux calamités sous lesquelles le pays allait succomber, et l’anarchie continua de l’agiter. Alors, plusieurs directeurs, au nombre desquels était le célèbre Sieyès, pensèrent, ainsi qu’une foule de députés et l’immense majorité du public, que pour sauver la France il fallait remettre les rênes du gouver-