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SORÈZE.

quins, et la vue des plats servis devant moi me dégoûtait ; mais m’eût-on offert des ortolans, je n’en eusse pas voulu, tant j’avais le cœur gros. Le repas finit, comme il avait commencé, par un chant patriotique. On se mit à genoux au couplet de la Marseillaise qui commence par ces mots : « Amour sacré de la patrie… », puis on défila, comme on était venu, au son du tambour ; enfin, on gagna les dortoirs.

Les élèves de la grande cour avaient chacun une chambre particulière, dans laquelle on les enfermait le soir ; ceux de la petite couchaient quatre dans la même chambre, dont chaque angle contenait un lit. On me mit avec Guiraud, Romestan et Lagarde, mes compagnons de table, presque aussi nouveaux que moi. J’en fus bien aise. Ils m’avaient paru bons enfants et l’étaient réellement ; mais je demeurai pétrifié en voyant l’exiguïté de ma couchette et le peu d’épaisseur du matelas, et ce qui me déplaisait surtout, c’est que le lit fût en fer. Je n’en avais jamais vu de pareils ! Cependant, tout était fort propre, et, malgré mon chagrin, je m’endormis profondément, tant j’avais été fatigué par les secousses morales que j’avais éprouvées pendant cette fatale journée.

Le lendemain, de grand matin, le tambour de service vint battre le réveil et faire d’horribles roulements dans les dortoirs, ce qui me parut atrocement sauvage. Mais que devins-je, lorsque je m’aperçus que, pendant mon sommeil, on m’avait enlevé mes beaux habits, mes bas fins et mes jolis souliers, pour y substituer les grossiers vêtements et la lourde chaussure de l’école ! Je pleurai de rage…

Après avoir fait connaître les premières impressions que j’éprouvai à mon entrée au collège, je vous ferai grâce du récit des tourments auxquels je fus en butte pendant six mois. J’avais été trop bien choyé chez les