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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

changer de chevaux ; mais, pendant qu’on y procède, un orage vraiment épouvantable éclate sur Mayence, la pluie tombait à torrents !… Il était cinq heures du soir ; c’était le moment de dîner ; mais à la nouvelle de l’arrivée prochaine de l’Empereur, la générale bat dans toute la ville. À ce signal, maréchal, généraux, préfet, maire, autorités civiles et militaires, chacun, jetant la serviette, s’empresse d’endosser son plus beau costume et de se rendre à son poste sous une pluie battante, et à travers les ruisseaux qui débordaient dans toutes les rues, tandis que moi, cause de cet immense hourvari, je riais comme un fou en m’éloignant au galop de trois bons chevaux de poste !… Mais aussi, pourquoi l’Impératrice, désobéissant à son auguste époux, voulait-elle porter des robes d’étoffes prohibées ? Pourquoi un colonel glissait-il, à mon insu, de la contrebande dans ma calèche ? La ruse dont je me servis me paraît donc excusable. Nous étions, du reste, au mois de juin, de sorte que le bain que je fis prendre à tous les fonctionnaires de Mayence ne fut nuisible qu’à leurs habits ! Je me trouvais à plus de deux lieues de Mayence, que j’entendais encore le bruit des tambours, et je sus depuis que les autorités étaient restées toute la nuit sur pied, et que l’Empereur n’était arrivé que deux jours après !… Mais, comme il était survenu un accident à sa voiture, les bons Mayençais purent attribuer à cela le retard dont leurs beaux habits furent victimes.

J’avançais rapidement et joyeusement vers Paris, lorsqu’un événement très désagréable vint interrompre ma course et changer ma joie en mécontentement. Vous savez que lorsqu’un souverain voyage, on ne pourrait atteler les nombreuses voitures qui précèdent ou suivent la sienne, si on ne renforçait leurs relais par des chevaux dits de tournée, qu’on fait venir des postes établies