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CONTREBANDE FORCÉE.

de l’Empereur. Ils furent conformes à mes désirs, car je fus chargé de porter de nouveaux portefeuilles à Paris, et l’Empereur me confia une lettre que je devais remettre moi-même à l’impératrice Joséphine. Le maréchal du palais Duroc me fit toucher 8,000 francs pour frais de poste de Tilsitt à Dresde et de Dresde à Paris. Je me mis gaiement en route. Je venais de faire trois belles campagnes, pendant lesquelles j’avais obtenu le grade de capitaine et m’étais fait remarquer par l’Empereur ; nous allions jouir des délices de la paix, ce qui me permettrait de rester longtemps auprès de ma mère ; j’étais bien rétabli, je n’avais jamais possédé autant d’argent : tout me conviait donc à être joyeux, et je l’étais beaucoup.

J’arrivai ainsi à Francfort-sur-Mein. Un lieutenant-colonel de la garde impériale, nommé M. de L…, y commandait. L’Empereur m’avait donné une lettre pour cet officier, auquel il demandait, je pense, des renseignements particuliers, car M. de L… était en rapport avec M. Savary, chargé de la police secrète. Ce colonel, après m’avoir fait déjeuner avec lui, voulut me reconduire jusqu’à ma calèche ; mais en y montant, j’aperçus un assez gros paquet qui ne faisait pas partie de mes dépêches. J’allais appeler mon domestique pour avoir des explications à ce sujet, lorsque le colonel de L… m’en empêcha en me disant à voix basse que ce paquet contenait des robes de tricot de Berlin et autres étoffes prohibées en France, destinées à l’impératrice Joséphine, qui me saurait un gré infini de les lui apporter !… Je me souvenais trop bien des cruelles anxiétés que j’avais éprouvées, par suite du rapport de complaisance que j’avais eu la faiblesse de faire à l’Empereur, au sujet des chasseurs à cheval de sa garde présents à la bataille d’Austerlitz, pour consentir à m’engager encore dans une mauvaise affaire ; aussi je refusai très positivement.