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TILSITT.

Ce fut trois jours après la mémorable bataille de Friedland que l’armée française aperçut enfin la ville de Tilsitt et le Niémen qui, sur ce point, n’est éloigné que de quelques lieues des frontières de l’Empire russe. Après une bataille, tout est douleur sur les derrières d’une armée victorieuse dont la marche est jalonnée de cadavres, de mourants et de blessés, tandis que les guerriers qui ont survécu, oubliant bientôt ceux de leurs camarades qui sont tombés dans les combats, se réjouissent de leurs succès et marchent gaiement à de nouvelles aventures. La joie de nos soldats fut immense en voyant le Niémen, dont la rive opposée était occupée par les débris de cette armée russe qu’ils venaient de battre dans tant de rencontres ; aussi nos troupes chantaient, tandis qu’un morne silence régnait dans le camp ennemi. L’empereur Napoléon s’établit à Tilsitt ; ses troupes campèrent autour de la ville.

Le Niémen séparait les deux armées, les Français occupant la rive gauche ; les Russes, la rive droite. L’empereur Alexandre ayant fait demander une entrevue à Napoléon, elle eut lieu le 25 juin, dans un pavillon construit sur un radeau ancré au milieu du fleuve, à la vue des deux armées qui en bordaient-les rives. Ce fut un spectacle des plus imposants. Les deux empereurs arrivèrent chacun de leur côté, suivis seulement de cinq des principaux personnages de leur armée. Le maréchal Lannes, qui, à ce titre, s’était flatté d’accompagner l’Empereur, se vit préférer le maréchal Bessières, ami intime du prince Murat, et ne pardonna pas à ces maréchaux ce qu’il considérait comme un passe-droit.

Le maréchal Lannes resta donc avec nous sur le quai de Tilsitt, d’où nous vîmes les deux empereurs s’embrasser en s’abordant, ce qui excita de nombreux vivat dans les deux camps. Le lendemain 26, dans une seconde