Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
372
MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

bête que montait un sous-officier tué pendant la charge. J’enfourchai donc ce cheval et revins rapidement vers Posthenen. J’avais à peine quitté les rives de l’étang qu’il devint le théâtre d’un combat des plus sanglants, auquel donna lieu l’attaque désespérée que fit le général Gortschakoff pour se rouvrir le chemin de la retraite en reprenant la route de Friedland occupée par le maréchal Ney. Pris entre les troupes de ce maréchal et celles de notre centre qui se portèrent en avant, les Russes de Gortschakoff se défendirent vaillamment dans les maisons qui avoisinaient l’étang, de sorte que si je fusse resté en ce lieu, où j’avais eu l’intention de me reposer quelques instants, je me serais trouvé au milieu d’une terrible mêlée. Je rejoignis le maréchal Lannes au moment où il se portait sur l’étang pour attaquer par derrière le corps de Gortschakoff, que Ney repoussait de front de la ville, et je pus par conséquent lui donner de bons renseignements sur la configuration du terrain sur lequel nous combattions.

Si l’armée française avait fait peu de prisonniers sur le champ de bataille de Friedland, il n’en fut pas ainsi le lendemain et les jours suivants, car les Russes, poussés l’épée dans les reins, mis dans une déroute complète, exténués de fatigue, abandonnaient leurs rangs et se couchaient dans les champs, où nous en prîmes un très grand nombre. On ramassa aussi beaucoup d’artillerie. Tout ce qui put échapper de l’armée de Benningsen se hâta de repasser le Niémen, derrière lequel se trouvait l’empereur de Russie, qui, se rappelant probablement les dangers auxquels il avait été exposé à Austerlitz, n’avait point jugé à propos d’assister en personne à la bataille de Friedland et s’était empressé, le surlendemain de notre victoire, de demander un armistice que Napoléon lui accorda.