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BATAILLE DE FRIEDLAND.

audacieuse, refoule les Russes dans Friedland et pénètre pêle-mêle avec eux dans les rues de cette malheureuse ville, où les obus venaient d’allumer un immense incendie !… Il y eut là un terrible combat à la baïonnette, où les Russes, entassés les uns sur les autres et pouvant à peine se mouvoir, éprouvèrent des pertes énormes !… Enfin, ils furent contraints, malgré leur courage, de se retirer en désordre, pour chercher un refuge sur la rive opposée, en repassant les ponts. Mais ici un nouveau danger les attendait ; l’artillerie du général Sénarmont, s’étant rapprochée de la ville, prenait en flanc les ponts, qu’elle brisa bientôt, après avoir tué un très grand nombre de Russes, qui s’empressaient d’y passer en fuyant. Tout ce qui restait encore dans Friedland fut pris, tué ou noyé, en voulant traverser la rivière.

Jusque-là, Napoléon avait pour ainsi dire fait marquer le pas à son centre et à son aile gauche ; il les porta rapidement en avant. Le général russe Gortschakoff qui commandait le centre et l’aile droite ennemie, n’écoutant que son courage, veut reprendre la ville (ce qui ne lui eût été d’aucune utilité, puisque les ponts étaient brisés ; mais il l’ignorait). Il s’élança donc à la tête de ses troupes dans Friedland embrasé ; mais, repoussé de front par les troupes du maréchal Ney qui occupaient cette ville, et contraint de regagner la campagne, le général ennemi se voit bientôt entouré par notre centre, qui l’accule à l’Alle en face de Kloschenen. Les Russes, furieux, se défendent héroïquement, et, bien qu’enfoncés de toutes parts, ils refusent de se rendre. Une grande partie meurt sous nos baïonnettes, et le reste se laisse rouler du haut des berges dans la rivière, où presque tous se noyèrent…

L’extrême droite des ennemis, composée en grande partie de cavalerie, avait essayé pendant la bataille d’enlever ou de tourner le village d’Heinrichsdorf ; mais,