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VARSOVIE.

de la pauvre jument, qu’il mit ainsi en état de marcher jusqu’à Landsberg. Le commandant de la petite garnison de cette place ayant eu l’attention de faire préparer des logements pour les blessés, l’état-major fut placé dans une grande et bonne auberge, de sorte qu’au lieu de passer la nuit sans secours, étendu tout nu sur la neige, je fus couché sur un bon lit et environné des soins de mon frère, de mes camarades et du bon docteur Raymond. Celui-ci avait été obligé de couper la botte que le soldat du train n’avait pu m’ôter, et qu’il fut encore difficile de me retirer tant mon pied était gonflé. Vous verrez plus loin que cela faillit me coûter une jambe et peut-être la vie.

Nous passâmes trente-six heures à Landsberg. Ce repos, les bons soins qu’on prit de moi, me rendirent l’usage de la parole et des membres, et lorsque le surlendemain de la bataille le maréchal Augereau se mit en route pour Varsovie, je pus, quoique bien faible, être transporté dans le traîneau. Notre voyage dura huit jours, parce que l’état-major allait à petites journées avec ses chevaux. Je reprenais peu à peu mes forces ; mais, à mesure qu’elles revenaient, je sentais un froid glacial à mon pied droit. Arrivé à Varsovie, je fus logé dans l’hôtel réservé pour le maréchal, ce qui me fut d’autant plus favorable que je ne pouvais quitter le lit. Cependant la blessure de mon bras allait bien, le sang extravasé sur mon corps par suite de la commotion du boulet commençait à se résoudre, ma peau reprenait sa couleur naturelle ; le docteur ne savait à quoi attribuer l’impossibilité dans laquelle j’étais de me lever, et m’entendant me plaindre de ma jambe, il voulut la visiter, et qu’aperçut-il ?… Mon pied était gangrené !… Un accident remontant à mes premières années était la cause du nouveau malheur qui me frap-