haut du corps et à rendre des caillots de sang qui obstruaient mon gosier. La commotion produite par le vent du boulet avait amenée une ecchymose si considérable que j’avais la figure, les épaules et la poitrine noires, tandis que le sang sorti de ma blessure au bras rougissait les autres parties de mon corps… Mon chapeau et mes cheveux étaient remplis d’une neige ensanglantée ; je roulais des yeux hagards et devais être horrible à voir. Aussi le soldat du train détourna la tête et s’éloigna avec mes effets, sans qu’il me fût possible de lui adresser une seule parole, tant mon état de prostration était grand !… Mais j’avais repris mes facultés mentales, et mes pensées se portèrent vers Dieu et vers ma mère !…
Le soleil, en se couchant, jeta quelques faibles rayons à travers les nuages ; je lui fis des adieux que je crus bien être les derniers… Si du moins, me disais-je, on ne m’eût pas dépouillé, quelqu’un des nombreux individus qui passent auprès de moi, remarquant les tresses d’or dont ma pelisse est couverte, reconnaîtrait que je suis aide de camp d’un maréchal et me ferait peut-être transporter à l’ambulance ; mais en me voyant nu, on me confond avec les nombreux cadavres dont je suis entouré ; bientôt, en effet, il n’y aura plus aucune différence entre eux et moi. Je ne puis appeler à mon aide, et la nuit qui s’approche va m’ôter tout espoir d’être secouru ; le froid augmente, pourrai-je le supporter jusqu’à demain, quand déjà je sens se raidir mes membres nus ? Je m’attendais donc à mourir, car si un miracle m’avait sauvé au milieu de l’affreuse mêlée des Russes et du 14e, pouvais-je espérer qu’un autre miracle me tirerait de l’horrible position dans laquelle je me trouvais ?… Ce second miracle eut lieu, et voici comment. Le maréchal Augereau avait un valet de