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LISETTE.

sement fort rare : elle mordait comme un bouledogue et se jetait avec furie sur les personnes qui lui déplaisaient, ce qui détermina M. Finguerlin à la vendre. Elle fut achetée pour le compte de Mme de Lauriston, dont le mari, aide de camp de l’Empereur, avait écrit de lui préparer un équipage de guerre. M. Finguerlin, en vendant la jument, ayant omis de prévenir de son défaut, on trouva le soir même sous ses pieds un palefrenier auquel elle avait arraché les entrailles à belles dents !… Mme de Lauriston, justement alarmée, demanda la rupture du marché. Non seulement elle fut prononcée, mais, pour prévenir de nouveaux malheurs, la police ordonna qu’un écriteau, placé dans la crèche de Lisette, informerait les acheteurs de sa férocité, et que tout marché concernant cette bête serait nul, si l’acquéreur ne déclarait par écrit avoir pris connaissance de l’avertissement.

Vous concevez qu’avec une pareille recommandation, la jument était très difficile à placer ; aussi M. d’Aister me prévint-il que son propriétaire était décidé à la céder pour ce qu’on voudrait lui en donner. J’en offris mille francs, et M. Finguerlin me livra Lisette, bien qu’elle lui en eût coûté cinq mille : Pendant plusieurs mois, cette bête me donna beaucoup de peine ; il fallait quatre ou cinq hommes pour la seller, et l’on ne parvenait à la brider qu’en lui couvrant les yeux et en lui attachant les quatre jambes ; mais une fois qu’on était placé sur son dos, on trouvait une monture vraiment incomparable…

Cependant, comme, depuis qu’elle m’appartenait, elle avait déjà mordu plusieurs personnes et ne m’avait point épargné, je pensais à m’en défaire, lorsque, ayant pris à mon service François Woirland, homme qui ne doutait de rien, celui-ci, avant d’approcher Lisette, dont on lui avait signalé le mauvais caractère, se munit d’un gigot