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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

un gouvernement qu’il méprisait ? — Pourquoi ? — C’est qu’il pensait que repousser les ennemis du territoire français était toujours une chose honorable et qui ne rendait pas les militaires solidaires des atrocités que la Convention commettait à l’intérieur.

Ce que mon père avait dit m’avait déjà intéressé en faveur des individus placés dans les voitures. Je venais d’apprendre que c’étaient des familles nobles qu’on avait arrachées le matin de leurs châteaux, et que l’on conduisait dans les prisons de Souilhac. Il y avait des vieillards, des femmes, des enfants, et je me demandais en moi-même comment ces êtres faibles pouvaient être dangereux pour le pays, lorsque j’entendis plusieurs des enfants demander à manger. Une dame pria un garde national de la laisser descendre pour aller acheter des vivres : il s’y refusa durement, et la dame lui ayant présenté un assignat en le priant de vouloir bien lut procurer du pain, le garde lui répondit : « Me prends-tu pour un de tes ci-devant laquais ?… » Cette brutalité m’indigna. J’avais remarqué que Spire avait placé dans les poches de la voiture plusieurs petits pains, dans l’intérieur de chacun desquels on avait mis une saucisse. J’allai prendre deux de ces pains, et m’approchant de la voiture des enfants prisonniers, je leur jetai ces pains, pendant que les gardes tournaient le dos. La mère et les enfants me firent des signes de reconnaissance si expressifs, que je résolus d’approvisionner aussi les autres prisonniers, et je leur portai successivement toutes les provisions que Spire avait faites pour nourrir quatre personnes pendant les quarante-huit heures que nous devions passer en route, afin de nous rendre à Toulouse. Enfin, nous partons sans que Spire se soit douté de la distribution que je venais de faire. Les petits prisonniers m’envoient des baisers, les parents me saluent ; mais à