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STOÏCISME DES RUSSES.

Cette violente canonnade des Russes nous fit d’autant plus de mal, que divers incendies s’étant propagés dans les villages de la plaine, la lueur qu’ils répandaient au loin permettait aux canonniers ennemis de distinguer nos masses de troupes, surtout celles des cuirassiers et dragons que le prince Murat venait d’amener, et qui, portant des manteaux blancs, servaient de point de mire aux artilleurs russes. Ces cavaliers éprouvèrent donc plus de pertes que les autres corps, et l’un de nos généraux de dragons, nommé Fénérol, fut coupé en deux par un boulet. Le maréchal Augereau, après s’être emparé de Kuskowo, fit son entrée dans Golymin, que le maréchal Davout attaquait d’un autre côté. Ce bourg était traversé en ce moment par les colonnes russes, qui, sachant que le maréchal Lannes marchait pour leur couper la retraite en s’emparant de Pultusk, situé à trois lieues de là, cherchaient à gagner promptement ce point avant lui, n’importe à quel prix. Aussi, quoique nos soldats tirassent sur les ennemis à vingt-cinq pas, ceux-ci continuaient leur route sans riposter, parce que pour le faire, il aurait fallu s’arrêter, et que les moments étaient trop précieux.

Chaque division, chaque régiment, défila donc sous notre fusillade sans mot dire, ni ralentir sa marche un seul instant !… Les rues de Golymin étaient remplies de mourants et de blessés, et l’on n’entendait pas un seul gémissement, car ils étaient défendus ! On eût dit que nous tirions sur des ombres !… Enfin nos soldats se précipitèrent à la baïonnette sur ces masses, et ce ne fut qu’en les piquant qu’ils acquirent la conviction qu’ils avaient affaire à des hommes !… On fit un millier de prisonniers ; le surplus s’éloigna. Les maréchaux mirent alors en délibération s’ils poursuivraient l’ennemi ; mais le temps était si horrible, la nuit si noire,