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AFFAIRE DE KOLOZOMB.

pont qui existait en ce lieu, avaient élevé une redoute sur la rive gauche, qu’ils défendaient avec du canon et une nombreuse infanterie ; mais ils oublièrent de détruire un magasin de poutres et de madriers placé sur la rive droite par laquelle nous arrivions. Nos sapeurs se servirent habilement de ces matériaux pour établir un pont provisoire ; malgré la vivacité du feu de l’ennemi, qui nous fit perdre quelques hommes du 24e de ligne marchant en tête de nos colonnes. Les planches du nouveau pont n’étaient pas encore fixées et vacillaient sous les pas de nos fantassins, lorsque le colonel du 24e de ligne, M. Savary, frère de l’aide de camp de l’Empereur, eut la témérité d’y passer à cheval, afin d’aller se mettre à la tête des tirailleurs ; mais à peine eut-il débouché sur la rive opposée, qu’un Cosaque, s’élançant au galop, lui plongea sa lance dans le cœur et s’enfuit dans les bois !… C’était le cinquième colonel du 24e de ligne tué devant l’ennemi ! Vous verrez plus tard quelle fatale destinée accompagnait toujours ce malheureux régiment. Le passage de l’Ukra fut enlevé, les pièces furent prises, les Russes mis en fuite, et la division Desjardins s’établit à Sochoczyn, où l’ennemi avait repoussé l’attaque de la division Heudelet ; mais comme il suffisait d’un seul passage, l’attaque était absolument inutile. Cependant le général Heudelet, par suite d’un amour-propre mal entendu, ordonna de la renouveler. Il fut repoussé derechef et fit tuer ou blesser une trentaine d’hommes, dont un capitaine du génie, officier de très grande espérance. Je me suis toujours révolté contre ce mépris de la vie des hommes, qui porte parfois les généraux à les sacrifier au désir de se voir nommé dans les bulletins…

Le 25 décembre, lendemain du passage de l’Ukra, l’Empereur, poussant les Russes devant lui, se dirigea sur Golymin, ayant avec lui sa garde, la cavalerie de