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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

Duroc avait à traiter avec le roi de Prusse, ayant rapport à une lettre que ce monarque avait adressée à Napoléon afin d’en obtenir la paix, durèrent deux jours, que j’employai à lire et à me promener sur la triste place d’armes de la forteresse, car je ne voulus pas monter sur les remparts, bien qu’on y jouisse d’une admirable vue sur la Vistule ; je craignais qu’on pût me soupçonner d’examiner les travaux de défense et d’armement.

Dans les combats qui venaient d’avoir lieu depuis Iéna jusqu’à la Vistule, les Prussiens ne nous avaient enlevé qu’une centaine de prisonniers, qu’ils employaient aux terrassements de la forteresse de Graudentz, dans laquelle ils étaient enfermés. Le maréchal Duroc m’avait chargé de distribuer des secours à ces pauvres diables, qui étaient d’autant plus malheureux que, du haut de la citadelle, ils apercevaient les troupes françaises dont ils n’étaient séparés que par la Vistule. Ce voisinage, et la comparaison de sa position avec celle de ses camarades libres et heureux sur la rive gauche, portèrent un prisonnier français, cavalier d’élite au 3e de dragons, nommé Harpin, à employer tous les moyens en son pouvoir pour s’évader des mains des Prussiens. La chose n’était pas facile, car il fallait d’abord sortir de la forteresse et traverser ensuite la Vistule ; mais que ne peut une volonté ferme ? Harpin, employé par le maître charpentier prussien à empiler du bois, avait fabriqué en secret un petit radeau ; il avait pris un grand câble et s’en était servi pour descendre la nuit son radeau au pied des remparts et sortir lui-même de la citadelle. Déjà il avait mis le radeau dans la Vistule et se préparait à y monter, lorsque, surpris par une patrouille, il avait été ramené dans la forteresse et mis au cachot. Le lendemain, le commandant prussien, selon l’usage alors en vigueur dans l’armée prussienne, avait condamné Harpin à rece-