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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

de Bernadotte, au jour de la bataille d’Auerstædt, lui servit en quelque sorte de premier échelon pour monter au trône de Suède.

Je ne fus point blessé à Iéna, mais j’éprouvai une mystification dont le souvenir excite encore ma colère après quarante ans… Au moment où le corps d’Augereau attaquait les Saxons, ce maréchal m’envoya porter au général Durosnel, commandant une brigade de chasseurs, l’ordre de charger sur la cavalerie ennemie. Je devais conduire cette brigade par un chemin que j’avais déjà reconnu. Je cours me mettre en tête de nos chasseurs qui s’élancent sur les escadrons saxons : ceux-ci résistent bravement ; il y eut une mêlée, mais enfin nos adversaires furent contraints de se retirer avec perte. Je me trouvai vers la fin du combat en face d’un officier de housards vêtu de blanc et appartenant au régiment du prince Albert de Saxe. Je lui appuie sur le corps la pointe de mon sabre en le sommant de se rendre, ce qu’il fait en me remettant son arme. Le combat fini, j’ai la générosité de la lui rendre, ainsi que cela se pratique en pareil cas entre officiers, et j’ajoute que bien que son cheval m’appartienne d’après les lois de la guerre, je ne veux pas l’en priver. Il me remercie beaucoup de ce bon traitement, et me suit dans la direction que je prends pour retourner auprès du maréchal, auquel je me faisais une fête de ramener mon prisonnier. Mais dès que nous fûmes à cinq cents pas des chasseurs français, le maudit officier saxon, qui était à ma gauche, dégainant son sabre, fend l’épaule de mon cheval et allait me frapper, si je ne me fusse jeté sur lui, bien que n’ayant pas mon sabre à la main. Mais nos corps se touchant, il n’avait plus assez d’espace pour que son bras pût diriger sa lame contre moi ; ce que voyant, il me prend par mon épaulette, car j’étais en habit ce jour-là, et tirant