Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE II

Premiers orages révolutionnaires. — Attitude de mon père. — Il rentre au service. — Je suis confié aux mains de Mlle Mongalvi. — Ma vie au pensionnat.

Pendant que mon enfance s’écoulait paisiblement, de bien graves événements se préparaient. L’orage révolutionnaire grondait déjà, et ne tarda pas à éclater : nous étions en 1789.

L’assemblée des États généraux, remuant toutes les passions, détruisit la tranquillité dont jouissait la province que nous habitions, et porta la division dans presque toutes les familles, surtout dans la nôtre ; car mon père, qui blâmait depuis longtemps les abus auxquels la France était assujettie, adopta le principe des améliorations qu’on projetait, sans prévoir les atrocités que ces changements allaient amener, tandis que ses trois beaux-frères et ses amis repoussaient toute innovation. De là de vives discussions, auxquelles je ne comprenais rien, mais qui m’affligeaient, parce que je voyais ma mère pleurer, en cherchant à calmer l’irritation de ses frères et de son époux. Cependant, sans trop savoir pourquoi, je me rangeais du côté des modérés démocrates qui avaient choisi mon père pour chef, car il était incontestablement l’homme le plus capable de la contrée.

L’Assemblée constituante venait de détruire les rentes féodales. Mon père, en qualité de gentilhomme, en possédait quelques-unes que son père avait achetées. Il fut le