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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

que les cavaliers marchaient au pas sur quatre de front. Le pauvre général Morland, qui savait combien l’évaluation de Napoléon approchait de l’exactitude, était dans une grande agitation, car il prévoyait que mon rapport allait attirer sur lui une très sévère réprimande. Il me connaissait à peine, et n’osait me proposer de me compromettre pour lui épargner un désagrément. Il restait donc là silencieusement auprès de moi, lorsque, heureusement pour lui, son capitaine adjudant-major vint le rejoindre. Cet officier, nommé Fournier, avait débuté dans la carrière militaire comme sous-aide chirurgien ; puis, devenu chirurgien-major et se sentant plus de vocation pour le sabre que pour la lancette, il avait demandé et obtenu de prendre rang parmi les officiers combattants, et Morland, avec lequel il avait servi jadis, l’avait fait entrer dans la garde.

J’avais beaucoup connu le capitaine Fournier, lorsqu’il était encore chirurgien-major. Je lui avais même gardé de très grandes obligations, car non seulement il avait pansé mon père au moment où il venait d’être blessé, mais il l’avait suivi à Gênes, où, tant que mon père exista, il vint plusieurs fois par jour pour lui prodiguer ses soins ; si les médecins chargés de combattre le typhus eussent été aussi assidus et aussi zélés que Fournier, mon père n’aurait peut-être pas succombé. Je m’étais dit cela bien souvent ; aussi fis-je l’accueil le plus amical à Fournier, que je n’avais d’abord pas reconnu sous la pelisse de capitaine de chasseurs. Le général Morland, témoin du plaisir que nous avions à nous revoir, conçut l’espoir de profiter de notre amitié réciproque pour m’amener à ne pas dire à l’Empereur combien il y avait de chasseurs hors des rangs. Il tire donc son adjudant-major à part, confère un moment avec lui ; puis le capitaine vient me supplier, au nom de notre ancienne amitié,