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DIRNSTEIN.

Dans ce combat corps à corps, où la baïonnette fut presque seule employée, nos soldats, plus agiles et plus adroits que les colosses russes, avaient un immense avantage sur eux ; aussi la perte des ennemis fut-elle de quatre mille cinq cents hommes, et la nôtre de trois mille hommes seulement. Mais si nos divisions n’eussent pas été composées de soldats aguerris, le corps de Mortier aurait probablement été détruit. L’Empereur le comprit si bien, qu’il se hâta de le rappeler sur la rive droite, et ce qui me prouve qu’il avait reconnu la faute qu’il avait commise en jetant ce corps isolé au delà du fleuve, c’est que, bien qu’il récompensât largement les braves régiments qui s’étaient battus à Dirnstein, les bulletins firent à peine mention de cette sanglante affaire, et l’on parut vouloir cacher les résultats de cette opération d’outre-Danube, parce qu’on ne pouvait en expliquer militairement le motif. De plus, ce qui me confirme dans l’opinion que je prends la liberté d’émettre, c’est que, dans la campagne de 1809, l’Empereur, se trouvant sur le même terrain, n’envoya aucun corps au delà du fleuve, et, conservant au contraire toute son armée réunie, il descendit avec elle jusqu’à Vienne. Mais revenons à la mission dont le commandant Massy et moi étions chargés.

Lorsque nous arrivâmes à Vienne, Napoléon et le gros de son armée avaient déjà quitté cette ville, dont ils s’étaient emparés sans coup férir. Le passage du Danube, qu’il fallait franchir, avant de poursuivre les Autrichiens et les Russes qui se retiraient en Moravie, n’avait pas même été disputé, grâce à une ruse, peut-être blâmable, qu’employèrent les maréchaux Lannes et Murat. Cet épisode, qui influa si grandement sur le résultat de cette célèbre campagne, mérite d’être raconté.

La ville de Vienne est située sur la rive droite du Danube, fleuve immense, dont un faible bras passe dans