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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

le maréchal russe rencontre les éclaireurs de la division Gazan, qui se dirigeait de Dirnstein sur Krems, ayant en tête le maréchal Mortier. Koutousoff, en apprenant l’existence d’un corps français isolé sur la rive gauche, résolut de l’écraser, et pour y parvenir, il le fait attaquer de front sur l’étroite chaussée qui longe le Danube, tandis qu’en s’emparant des hauteurs escarpées qui dominent ce fleuve, ses troupes légères vont occuper Dirnstein et couper ainsi la retraite de la division Gazan. Cette division était alors dans une position d’autant plus critique, que la plus grande partie de la flottille étant restée en arrière, on n’avait que deux petites barques, ce qui ne permettait pas d’aller chercher du renfort sur la rive droite. Attaqués en tête, en queue, et sur un de leurs flancs, par des ennemis six fois plus nombreux, se trouvant en outre enfermés entre des rochers escarpés occupés par les Russes, et les gouffres du Danube, les soldats français, entassés sur une étroite chaussée, ne furent pas démoralisés un seul moment. Le brave maréchal Mortier leur donna l’exemple d’un noble courage ; car quelqu’un lui ayant proposé de profiter d’une barque pour passer sur la rive droite, où il se trouverait au milieu de la grande armée, et éviterait par là de donner aux Russes la gloire de prendre un maréchal, Mortier répondit qu’il mourrait avec ses soldats, ou passerait avec eux sur le ventre des Russes !…

Un combat sanglant s’engage à la baïonnette : cinq mille Français résistent à trente mille Russes !… La nuit vint ajouter ses horreurs à celles du combat. La division Gazan, massée en colonne, parvint à regagner Dirnstein, au moment où la division Dupont, restée en arrière en face de Mölk et attirée par le bruit du canon, accourait à son secours. Enfin, le champ de bataille resta aux Français.