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PREMIÈRE ENFANCE.

les hôtels choisis pour étapes, car on y était attendu à jours fixes. Le voyage se faisait gaiement, en devisant, chantant, bravant les mauvais temps ou la chaleur, ainsi que les mésaventures, et riant des bons contes que chacun devait faire tour à tour en cheminant. La caravane se grossissait en route par l’arrivée des gardes du corps des provinces qu’on traversait. Enfin, les divers groupes, arrivant de tous les points de la France, entraient à Versailles le jour même de l’expiration de leur congé, et par conséquent au moment du départ des gardes qu’ils devaient relever. Alors chacun de ceux-ci achetait l’un des bidets amenés par les arrivants, auxquels il les payait cent francs, et, formant de nouvelles caravanes, tous prenaient le chemin du castel paternel, puis, à leur rentrée dans leurs foyers, ils lâchaient les criquets dans les prairies, où ils les laissaient paître à l’aventure pendant neuf mois, jusqu’au moment où ils les ramenaient à Versailles et les cédaient à d’autres camarades, de sorte que ces chevaux, changeant continuellement de maîtres, allaient tour à tour dans les diverses provinces de la France.

Mon père s’était donc lié intimement avec M. Certain de La Coste, qui était du même quartier et appartenait comme lui à la compagnie de Noailles. De retour au pays, ils se voyaient fréquemment : il devint bientôt l’ami de ses frères. Mlle du Puy était jolie, spirituelle, et quoiqu’elle ne dût avoir qu’une très faible dot et que plusieurs riches partis fussent offerts à mon père, il préféra Mlle du Puy et l’épousa en 1776.

Nous étions quatre frères : l’aîné, Adolphe, aujourd’hui maréchal de camp ; j’étais le second, Théodore le troisième, et Félix le dernier. Nos âges se suivaient à peu près à deux ans de distance.

J’étais très fortement constitué, et n’eus d’autre mala-