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TRAFALGAR.

les flottes de la France et de l’Espagne dans la Manche pouvait assurer le passage en Angleterre de nombreuses troupes réunies à Boulogne, Villeneuve, en apprenant que par ordre de Napoléon il allait être remplacé par l’amiral Rosily, passa tout à coup d’un excès de circonspection à une très grande audace. Il sortit de Cadix, livra une bataille qui, eût-elle tourné à notre avantage, eût été à peu près inutile, puisque l’armée française, au lieu de se trouver à Boulogne pour profiter de ce succès et passer en Angleterre, était à plus de deux cents lieues des côtes, faisant la guerre au centre de l’Allemagne. Après un combat des plus acharnés, les flottes d’Espagne et de France furent battues par celle d’Angleterre, dont l’amiral, le célèbre Nelson, fut tué, emportant dans la tombe la réputation de premier homme de mer de l’époque. De notre côté, nous perdîmes le contre-amiral Magon, officier d’un très grand mérite. Un de nos vaisseaux sauta ; dix-sept, tant français qu’espagnols, furent pris. Une tempête horrible, qui s’éleva vers la fin de la bataille, dura toute la nuit et les jours suivants. Elle fut sur le point de faire périr les vainqueurs et les vaincus ; aussi les Anglais, ne s’occupant plus que de leur propre salut, furent-ils obligés d’abandonner presque tous les vaisseaux qu’ils nous avaient pris et qui, pour la plupart, furent conduits à Cadix par les débris de leurs braves et malheureux équipages ; d’autres périrent en se brisant sur les rochers.

Ce fut à cette terrible bataille que mon excellent ami France d’Houdetot, aujourd’hui lieutenant général, aide de camp du Roi, reçut à la cuisse une forte blessure qui l’a rendu boiteux. D’Houdetot sortait à peine de l’enfance ; il était aspirant de marine et attaché à l’état-major du contre-amiral Magon, ami de mon père. Après la mort de ce brave amiral, le vaisseau l’Algésiras qu’il montait