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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

bons, fut arrêté ainsi que plusieurs de ses collègues. Alors Moreau s’empressa d’adresser au Directoire les pièces qui démontraient la culpabilité de Pichegru, ce qui amena la déportation de celui-ci dans les déserts de la Guyane, à Sinamary. Il parvint, par son courage, à s’évader, gagna les États-Unis, puis l’Angleterre, et n’ayant, dès lors, plus de ménagements à garder, il se mit ouvertement à la solde de Louis XVIII et résolut de venir en France renverser le gouvernement consulaire. Cependant, comme il ne pouvait se dissimuler que destitué, proscrit, absent de France depuis plus de six ans, il ne pouvait plus avoir sur l’armée autant d’influence que le général Moreau, le vainqueur de Hohenlinden, et par cela même fort aimé des troupes dont il était inspecteur général, il consentit, par dévouement pour les Bourbons, à faire taire les motifs d’inimitié qu’il avait contre Moreau, et à s’unir à lui pour le triomphe de la cause à laquelle il s’était dévoué.

Moreau, né en Bretagne, faisait son cours de droit à Rennes lorsque la révolution de 1789 éclata ; les étudiants, cette jeunesse turbulente, l’avaient pris pour chef, et lorsqu’ils formèrent un bataillon de volontaires, ils nommèrent Moreau commandant. Celui-ci, débutant dans la carrière des armes par un emploi d’officier supérieur, se montra brave, capable, et fut promptement élevé au généralat et au commandement en chef des armées. Il gagna plusieurs batailles et fit devant le prince Charles une retraite justement célèbre. Mais, bon militaire, Moreau manquait de courage civil. Nous l’avons vu refuser de se mettre à la tête du gouvernement, pendant que Bonaparte était en Égypte ; et bien qu’il eût aidé celui-ci au 18 brumaire, il devint jaloux de sa puissance, dès qu’il le vit premier Consul ; enfin il chercha tous les moyens de le supplanter, ce à quoi le poussait aussi, dit-on, la