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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

amena quelques modifications dans mon genre de vie. Tous les officiers-élèves avaient un cheval à eux ; je consacrai donc une partie de mes soirées à faire de longues promenades dans les bois magnifiques qui avoisinent Versailles, Marly et Meudon.

Dans le cours du mois de mai, ma mère éprouva une bien vive joie : son frère aîné, M. de Canrobert, sortit de la prison du Temple, et les deux autres, MM. de l’Isle et de la Coste, ayant été rayés de la liste des émigrés, rentrèrent en France et vinrent à Paris.

L’aîné des frères de ma mère, M. Certain de Canrobert, était un homme de beaucoup d’esprit et d’une amabilité parfaite. Il entra fort jeune au service, comme sous-lieutenant dans le régiment de Penthièvre-infanterie, et fit, sous le lieutenant général de Vaux, toutes les campagnes de la guerre de Corse, où il se distingua. Rentré en France après la conquête de ce pays, il compléta les vingt-quatre ans de service qui lui valurent la croix de Saint-Louis, et il était capitaine, lorsqu’il épousa Mlle de Sanguinet ; il se retira alors au château de Laval de Cère. Devenu père d’un fils et d’une fille, M. de Canrobert vivait heureux dans son manoir, lorsque la révolution de 1789 éclata. Il fut contraint d’émigrer, pour éviter l’échafaud dont on le menaçait ; tous ses biens furent confisqués, vendus, et sa femme fut incarcérée avec ses deux jeunes enfants. Ma mère obtint la permission d’aller visiter sa malheureuse belle-sœur, qu’elle trouva dans une tour froide et humide, accablée par la fièvre, qui emporta ce jour-là même sa petite fille ! À force de démarches et de supplications, ma mère obtint l’élargissement de sa belle-sœur ; mais celle-ci mourut peu de jours après, des suites de la maladie qu’elle avait contractée dans la prison. Ma mère prit alors soin du jeune garçon, nommé Antoine. Il fut mis