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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

s’il en avait su quelque chose, on ne pouvait exiger de lui qu’il se portât accusateur de Bernadotte, dont il était l’aide de camp. Ce raisonnement frappa le premier Consul, qui rendit la liberté à mon frère et l’envoya à Cherbourg, dans le 49e de ligne, ne voulant plus qu’il fût aide de camp de Bernadotte. Mais Bonaparte, qui avait à son usage une mnémonique particulière, grava probablement dans sa tête les mots : Marbot, aide de camp de Bernadotte, conspiration de Rennes ; aussi, jamais mon frère ne put rentrer en faveur auprès de lui, et quelque temps après, il l’envoya à Pondichéry.

Adolphe avait passé un mois en prison ; le commandant Fourcart y resta un an, fut destitué, et reçut l’ordre de sortir de France. Il se réfugia en Hollande, où il vécut misérablement pendant trente ans du prix des leçons de français qu’il était réduit à donner, n’ayant aucune fortune.

Enfin, en 1832, il pensa à retourner dans sa patrie, et pendant le siège d’Anvers, je vis un jour entrer dans ma chambre une espèce de vieux maître d’école bien râpé ; c’était Fourcart ! Je le reconnus. Il m’avoua qu’il ne possédait pas un rouge liard !… Je ne pus m’empêcher, en lui offrant quelques secours, de faire une réflexion philosophique sur les bizarreries du destin ! Voilà un homme qui, en 1802, était déjà chef de bataillon et que son courage, joint à ses moyens, eût certainement porté au grade de général, si le colonel Pinoteau n’eût pas songé à faire sa barbe au moment où la conspiration de Rennes allait éclater ! Je conduisis Fourcart au maréchal Gérard, qui se souvenait aussi de lui. Nous le présentâmes au duc d’Orléans, qui voulut bien lui donner dans sa bibliothèque un emploi de 2,400 francs d’appointements. Il y vécut une quinzaine d’années.

Quant au général Simon et au colonel Pinoteau, ils furent envoyés et détenus à l'île de Ré pendant cinq ou