Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
121
MARENGO.

d’être battus, et nous l’aurions été probablement, si les 25,000 hommes du corps d’Ott fussent arrivés sur le terrain pendant l’action. Aussi le premier Consul, qui craignait de les voir paraître à chaque instant, était-il fort soucieux et ne redevint gai que lorsque notre cavalerie et l’infanterie du général Desaix, dont il ignorait encore la mort, eurent décidé la victoire en enfonçant la colonne des grenadiers autrichiens du général Zach. S’apercevant alors que le cheval que je montais était légèrement blessé à la cuisse, le premier Consul me prit par l’oreille et me dit en riant : « Je te prêterai mes chevaux pour les faire arranger ainsi ! » Le commandant Graziani étant mort en 1812, je suis le seul officier français qui ait assisté au siège de Gênes, ainsi qu’à la bataille de Marengo.

Après cette mémorable affaire, je revins à Gênes, que les Autrichiens évacuaient par suite du traité conclu à la suite de notre victoire. J’y retrouvai Colindo et le commandant R***. Je visitai la tombe de mon père, puis nous nous embarquâmes sur un brick français, qui en vingt-quatre heures nous transporta à Nice. Au bout de quelques jours, un vaisseau livournais amena la mère de Colindo qui venait chercher son fils. Cet excellent jeune homme et moi avions traversé ensemble de bien rudes épreuves qui avaient cimenté notre attachement ; mais nos destinées étant différentes, il fallut nous séparer, malgré de vifs regrets.

J’ai dit plus haut que vers le milieu du siège, l’aide de camp Franceschi, porteur des dépêches du général Masséna au premier Consul, était parvenu en France, en passant la nuit au milieu de la flotte anglaise. On apprit par lui la mort de mon père. Alors, ma mère avait fait nommer un conseil de tutelle qui avait envoyé au vieux Spire, demeuré à Nice avec la voiture et les équipages