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LES PONTONS DE GÊNES.

livre d’un pain affreux et d’une égale quantité de chair de cheval : les prisonniers ne reçurent donc que la moitié de chacune de ces denrées ; ils n’avaient par conséquent par jour qu’un quart de livre pesant pour toute nourriture !… Ceci avait lieu quinze jours avant la fin du siège. Ces pauvres diables restèrent tout ce temps-là au même régime. En vain, tous les deux ou trois jours, le général Masséna renouvelait-il son offre au général ennemi, celui-ci n’accepta jamais, soit par obstination, soit que l’amiral anglais (lord Keith) ne voulût pas consentir à fournir ses chaloupes, de crainte, disait-on, qu’elles ne rapportassent le typhus à bord de la flotte. Quoi qu’il en soit, les malheureux Autrichiens hurlaient de rage et de faim sur les pontons. C’était vraiment affreux !… Enfin, après avoir mangé leurs brodequins, havresacs, gibernes et même peut-être quelques cadavres, ils moururent presque tous d’inanition !… Il n’en restait guère que sept à huit cents, lorsque, la place ayant été remise à nos ennemis, les soldats autrichiens, en entrant dans Gênes, coururent vers le port et donnèrent à manger à leurs compatriotes avec si peu de précaution, que tous ceux qui avaient survécu jusque-là périrent…

J’ai voulu rapporter cet horrible épisode, d’abord comme un nouvel exemple des calamités que la guerre entraîne après elle, et surtout pour flétrir la conduite et le manque de bonne foi du général autrichien, qui contraignit ses malheureux soldats faits prisonniers et rendus sur parole à reprendre les armes contre nous, bien qu’il se fût engagé à les renvoyer en Allemagne.

Dans les divers combats qui signalèrent le siège de Gênes, je courus de bien grands dangers. Je me bornerai à citer les deux principaux.

J’ai déjà dit que les Autrichiens et les Anglais se