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LES PONTONS DE GÊNES.

fallut donc battre en retraite. Les soldats portèrent quelque temps le général Soult sur leurs fusils, mais les douleurs intolérables qu’il éprouvait le décidèrent à ordonner qu’on le déposât au pied d’un arbre, où son frère et un de ses aides de camp restèrent seuls auprès de lui, pour le préserver de la fureur des premiers ennemis qui arriveraient sur lui. Heureusement, il se trouva parmi ceux-ci des officiers qui eurent beaucoup d’égards pour leur illustre prisonnier. La capture du général Soult ayant exalté le courage des Autrichiens, ils nous poussèrent très vivement jusqu’au mur d’enceinte qu’ils se préparaient à attaquer, lorsqu’un orage affreux vint assombrir le ciel d’azur que nous avions eu depuis le commencement du siège. La pluie tombait à torrents. Les Autrichiens s’arrêtèrent, et la plupart d’entre eux cherchèrent à s’abriter dans les cassines ou sous des arbres. Alors le général Masséna, dont le principal mérite consistait à mettre à profit toutes les circonstances imprévues de la guerre, parle à ses soldats, ranime leur ardeur, et les faisant soutenir par quelques troupes venues de la ville, il leur fait croiser la baïonnette et les ramène au plus fort de l’orage contre les Autrichiens vainqueurs jusque-là, mais qui, surpris de tant d’audace, se retirent en désordre. Masséna les poursuivit si vigoureusement qu’il parvint à couper un corps de trois mille grenadiers, qui mirent bas les armes.

Ce n’était pas la première fois que nous faisions de nombreux prisonniers, car le total de ceux que nous avions enlevés depuis le commencement du siège se montait à plus de huit mille ; mais n’ayant pas de quoi les nourrir, le général en chef les avait toujours renvoyés, à condition qu’ils ne serviraient pas contre nous avant six mois. Les officiers avaient tenu religieusement leur promesse ; quant aux malheureux soldats qui, ren-