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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

rages. Je me séparai avec bien du regret de mon père, et partis avec le régiment.

Nous suivîmes la Corniche jusqu’à Albenga, traversâmes l’Apennin malgré la neige, et entrâmes dans les fertiles plaines du Piémont. Le général en chef soutint dans les environs de Fossano, de Novi et de Mondovi, une suite de combats dont les uns furent favorables et les autres contraires.

Dans quelques-uns de ces combats, j’eus l’occasion de voir le général de brigade Macard, soldat de fortune, que la tourmente révolutionnaire avait porté presque sans transition du grade de trompette-major à celui d’officier général ! Le général Macard, véritable type de ces officiers créés par le hasard et par leur courage, et qui, tout en déployant une valeur très réelle devant l’ennemi, n’en étaient pas moins incapables par leur manque d’instruction d’occuper convenablement les postes élevés, était remarquable par une particularité très bizarre. Ce singulier personnage, véritable colosse d’une bravoure extraordinaire, ne manquait pas de s’écrier lorsqu’il allait charger à la tête de ses troupes : « Allons, je vais m’habiller en bête !… » Il ôtait alors son habit, sa veste, sa chemise, et ne gardait que son chapeau empanaché, sa culotte de peau et ses grosses bottes !… Ainsi nu jusqu’à la ceinture, le général Macard offrait aux regards un torse presque aussi velu que celui d’un ours, ce qui donnait à sa personne l’aspect le plus étrange ! Une fois habillé en bête, comme il le disait lui-même avec raison, le général Macard se lançait à corps perdu, le sabre au poing, sur les cavaliers ennemis, en jurant comme un païen ; mais il parvenait rarement à les atteindre, car à la vue si singulière et si terrible à la fois de cette espèce de géant à moitié nu, couvert de poils et dans un si étrange équipage, qui se précipitait sur eux en poussant