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tement observé les règles de la plus absolue délicatesse. Un tel homme, hautain et fier comme il l’était, n’eût jamais pu consentir à l’humiliation d’un marché déloyal qui lui eût fait courber la tête devant un complice, quel qu’il fût !

Sa fortune personnelle était obérée quand il quitta le palais municipal, et, lorsque les événements politiques se précipitant faillirent entraîner la France dans le désastre de l’Empire, il fallut que l’homme qui avait tant fait pour Paris, et qui, pour toute récompense, n’avait que la pension de retraite ordinaire de six mille francs, se remît au travail pour faire face à ses engagements. Il dut sacrifier ses goûts, son repos, son indépendance, à un labeur ingrat pour lequel il n’avait aucune aptitude particulière et qui a assombri ses derniers jours !

Malgré l’oubli déplorable du Gouvernement, malgré l’ingratitude de la Ville de Paris, qui lui devait tant, et qui n’ont su ni lui assurer une retraite en rapport avec ses grands services ni lui donner les récompenses qu’il méritait si bien, le baron Haussmann, qui était un homme supérieur, se soumit et supporta sa situation avec la plus grande dignité. Les hommes qui ont accompli de grandes choses et qui sont vraiment patriotes n’ont pas de rancune : c’est un sentiment qui répugne à leur caractère ; ils luttent et combattent, mais une fois la bataille terminée, l’oubli leur est facile.

Haussmann l’a prouvé, lorsque sa grande situation l’eut appelé au Parlement dans ces dernières années. Il ne renonça certes pas à ses idées politiques, car il était, avant tout, autoritaire, et le régime de l’Empire, tel qu’il s’était constitué en 1852, devait conserver toutes ses sympathies. Mais il est juste de reconnaître qu’il n’a jamais fait d’opposition systématique aux Pouvoirs qui se sont succédé : les secondant, au contraire, quand ils proposaient des mesures utiles à son cher Paris qu’il n’a jamais cessé d’aimer. Il pressentait que l’opinion publique, égarée pendant vingt ans, finirait par reconnaître la grandeur et l’utilité de son œuvre, et ce sentiment était sa consolation.

C’est à Paris, qui devrait consacrer sa mémoire par un