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Il était impossible que le baron Haussmann pût mener à bien de si colossales entreprises, sans rencontrer des obstacles, sans heurter des intérêts, sans susciter des jalousies par la haute situation qu’il tenait de la confiance du Souverain. Sénateur, grand-croix de la Légion d’honneur, ayant séance au Conseil des ministres et au Conseil d’État, où il défendait avec indépendance ses idées qu’il savait presque toujours faire triompher, il compta, même au sein du Gouvernement, des inimitiés qui devaient éclater d’autant plus vives qu’elles avaient d’abord dû être plus fortement comprimées. Napoléon III était, en effet, le plus ferme soutien du « Grand Préfet » et, devant l’Empereur, personne n’osait attaquer ouvertement M. Haussmann. Celui-ci savait d’ailleurs se défendre et son esprit autoritaire lui fournissait des réparties à l’emporte-pièce, dont la forme courtoise ne faisait qu’accentuer davantage la portée.

Plus puissant qu’un ministre, il était dans tout l’éclat de son succès au moment de l’Exposition universelle de 1867, où il recevait à l’Hôtel de Ville, dans des fêtes mémorables, tous les souverains de l’Europe.

C’était trop de grandeur : aussi, la lutte, sourde d’abord au Conseil d’État, s’accentua par des attaques directes, au Conseil des ministres. D’autre part, les hommes les plus considérables de l’opposition, dans les dernières années de l’Empire, l’attaquèrent vivement par la parole et par la plume. Les ministres ne le soutenaient que mollement : et, malgré l’admirable défense qu’il fit de son administration au Sénat, l’opinion publique elle-même ne parut pas le suivre et sembla lui refuser la justice qu’elle commence à lui accorder aujourd’hui, et que l’avenir lui réserve complète.

Le baron Haussmann comprit alors que toute lutte devenait inutile : et, voyant le changement d’orientation de la politique intérieure, il se résigna à quitter l’Hôtel de Ville.

Son désintéressement ne devait point empêcher la calomnie de s’attaquer à l’honneur du fonctionnaire. On a fait justice de ces attaques, et personne n’ignore aujourd’hui que le baron Haussmann a quitté l’Hôtel de Ville avec la conscience d’avoir toujours fait son devoir et stric-