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famille, pendant une quinzaine, M. Casimir Périer me complimenta de la manière dont, très jeune encore, je me tirai de cette épreuve.

Durant une audience qu’il me fit indiquer pour cinq heures du matin, et me donna dans son cabinet de toilette, où ce grand homme, se rasait et éméchait ses rares et longs cheveux gris, après m’avoir interrogé sur une foule de sujets délicats, notamment, sur la situation des partis politiques dans le département et l’influence que l’Administration serait en mesure d’exercer, en cas d’élections législatives, il me témoigna tout son bon vouloir, dont il ne se montrait pas prodigue, et finit par de précieux conseils que je n’oubliai jamais. Comme je me retirais, il me rappela pour me dire : — « À propos, un jeune fonctionnaire doit toujours trouver aimables et même jolies, quand c’est possible, les femmes et les filles des Députés. Les autres, aussi ; mais, je le crois moins nécessaire. »

En descendant l’escalier, je me rappelai m’être un peu moqué de la femme, aussi ennuyeuse que laide, d’un Député des Deux-Sèvres, qui demeurait, l’hiver, à Poitiers. Comment le Président du Conseil pouvait-il savoir ce détail et y mettre tant d’importance ? … La leçon ne manqua pas de me profiter.

Dans le cours de la conversation, M. Casimir Périer m’avait parlé de la femme de mon Préfet, et comme je louais ses vertus domestiques, il me dit : — « Oui ! oui ! mais elle est trop bourgeoise pour une ville qui renferme, à la fois, tant de gens comme il faut et tant de gens instruits. » Il ajouta, en riant : Je serai forcé d’établir, à côté de mon cabinet, un bureau de mariage pour mes fonctionnaires. Gare à vous ! »