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frayait avec la Préfecture, depuis 1830 ; mais, je commençai par m’y trouver un peu dépaysé ; car, j’étais ce qu’on appelait alors un fashionable, très soigneusement tenu, quoique de mise des plus simple, et de manières réservées autant que polies. Néanmoins, comme j’avais le caractère facile, je sus me résigner aux circonstances et me faire promptement bien accueillir de ce monde.

Le soir, je descendais presque toujours, après dîner, à la Préfecture, pour l’arrivée du courrier de Paris. Je me faisais battre de bonne grâce, s’il le fallait, dans une partie de carambolage, par mon chef, pour éviter son tric-trac, auquel je ne voulus jamais rien comprendre, et son échiquier, où j’aurais trop souvent gagné. Parfois, malgré mon peu de goût pour les cartes, je subissais un robber, comme quatrième, au whist de Madame la Préfète, ayant pour partner le Sous-Intendant Militaire, M. Millet, collègue et ami de mon père, contre elle et le général Rosetti, commandant la Subdivision militaire formée par le département.

Quand il ne venait pas d’étrangers, la cousine, qui m’inspirait de la sympathie, parce qu’elle était l’intelligence de la maison, et qu’elle m’avait pris de suite sous sa protection amicale, me demandait de lui chanter quelque romance à la mode ou de ma composition, et la patronne semblait m’écouter avec un certain plaisir ; mais, elle aimait encore mieux se faire lire ou dire des vers, ce qui m’étonnait toujours ; car, rien d’autre ne trahissait en elle des instincts poétiques. Mais, je touchais surtout son cœur, par la complaisance que je mettais à jouer avec ses fillettes, qui m’adoraient.

En cas de grand dîner, de grande soirée ou de bal, à la Préfecture, la cousine me faisait chercher dans mon