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Je me tirai, dès que je le pus, de cette bagarre ; mais, en remontant la rue de Richelieu, je m’aperçus que j’étais, non blessé, mais atteint seulement : par une éraflure sans importance, au-dessus du genou droit ; par une balle, que je n’avais pas sentie dans l’échauffement du combat, au gras de la cuisse gauche, déchiré par son passage.

Cela saignait beaucoup, mais ne m’empêcha pas, une fois tamponné, de rentrer chez mon père, qui demeurait alors rue de Richelieu, près des bureaux du Temps, où je fis panser et bander ces bobos, et changeai de vêtements. Je pus ressortir vers six heures, et je reconnus, passant du boulevard Montmartre sur le boulevard des Italiens, en grand uniforme, à cheval, entouré d’un état-major improvisé, le même général Pajol qui semblait si peu résolu dans la matinée, et qu’acclamait une foule énorme. Il avait toutes les peines du monde à conduire son cheval à travers les grands arbres des boulevards, abattus sur la chaussée.

Je me rendis chez M. Laffitte, dont l’hôtel formait le coin de la rue qui porte son nom (alors rue d’Artois) et de la rue de Provence. Il dinait. Je vis, à sa table, les autres Députés désignés pour faire partie du Gouvernement Provisoire. On leur servait un melon à la glace, qui me fit grande envie. Je m’empressai de leur dire où les choses en étaient, et ce que je venais de constater ; puis, je me dirigeai sur le manège Cadet, où, je le savais, le colonel Bro, officier du premier Empire, réorganisait la légion de Garde Nationale de l’arrondissement. Nous dinâmes ensemble chez lui, rue des Martyrs, dans une maison où demeurait aussi le colonel de Lawoestine, qui fut,