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che, la rue Fontaine-Molière (alors rue Traversière) ; puis, par le passage Saint-Guillaume, la rue des Boucheries, qui n’existe plus ; et, enfin, à travers une maison à deux issues, la rue du Rempart, supprimée également pour l’ouverture de l’avenue de l’Opéra. Elle suivait diagonalement, de la rue de Richelieu, prise en face de la rue Montpensier, à la rue Saint-Honoré, qu’elle joignait au droit de la rue de l’Échelle, l’emplacement de l’ancien rempart, devant lequel Jeanne d’Arc fut blessée, dit-on.

Là, je me trouvai parmi des insurgés que les Suisses postés aux fenêtres du Théâtre-Français, et les Gardes-Royaux tirant de celles des maisons de la rue Saint-Honoré, canardaient, et qui ripostaient de leur mieux, embusqués derrière des angles de boutiques et autres abris, tandis que le gros des Suisses, occupant le péristyle du théâtre, et le gros des Gardes-Royaux, garnissant les rues de Rohan et Saint-Honoré, s’efforçaient de repousser, par des salves de mousqueterie, les masses qui les attaquaient de toutes parts, et qu’une pièce d’artillerie, chargée à mitraille, balayait, de minute en minute, la rue de Richelieu.

J’eus à peine le temps de reconnaître la situation des choses et le désavantage du point stratégique où je m’étais fourvoyé. À la suite d’une décharge générale des troupes, je fus emporté, à travers la fumée, par le mouvement subit d’une foule sortant de toutes les portes, jusque sur le bataillon des Suisses, désarmé non sans peine après une lutte sanglante corps à corps, où, laissant mon fusil, devenu complètement inutile, je réussis à me garer des coups d’un officier, en le serrant de près, afin d’arracher de sa main le sabre dont il allait m’embrocher.