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celle du National, à la tête de laquelle figurait un publiciste plus connu, le célèbre Armand Carrel, organisait la résistance. Les journalistes, je le savais, comptaient faire une manifestation courageuse, qui devait appeler sur eux toutes les rigueurs du Pouvoir, et, faute de qualité pour y participer, je voulais m’associer aux conséquences de leur rébellion, que je considérais comme justifiée par ces violations flagrantes de la Charte Constitutionnelle.

Je pus lire, pendant qu’il l’écrivait sur sa table de rédaction, cette éloquente et concise convocation de Coste à Benjamin Constant : « Ami, il se joue ici un jeu terrible ; nos têtes servent d’enjeu : venez vite apporter la vôtre ! » — et je vis bientôt Benjamin Constant, podagre, arriver sur cet appel.

Dès l’apparition de la Protestation dans les deux journaux, leurs presses furent saisies et mises hors de service ; mais le baron Baude, ancien Préfet du premier Empire, exerçant la haute main sur l’administration du Temps, s’était précautionné de presses de réserve, soustraites, par ses soins, aux recherches de la Police. On apprit alors que le Parquet de la Seine lançait des mandats d’amener contre tous les signataires, et j’entendis Coste raconter ce fait : chez Carrel, M. Thiers, un des rédacteurs du National menacés de poursuites, venait de leur proposer de supprimer la pièce originale et, partant, le corps du délit ; tous les autres avaient énergiquement refusé de laisser ainsi à découvert les gérants responsables des journaux, et il était parti pour la campagne.

Lorsque l’insurrection armée préserva de l’arrestation qu’ils attendaient avec sang-froid, Coste, le baron