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de Lutzen et de Bautzen, s’aggravant tout à coup, au lendemain de la bataille de Leipsick, amenèrent l’invasion de la France, en 1814. Malgré les prodigieuses manœuvres par lesquelles l’Empereur, après ses nouvelles victoires de Champaubert et de Montmirail, menaçait de couper la base d’opération de ses ennemis coalisés, la capitulation de Paris entraîna son abdication et le rétablissement de la Royauté.

Pendant ces luttes héroïques, suprêmes, où la valeur de nos armes, que la victoire semblait abandonner à regret, finit par succomber sous le nombre accablant de nos envahisseurs, j’étais dans la petite maison de Belle-Source, à Chaville, avec mes grands-parents paternels, qui l’habitaient de préférence, quand ils n’avaient personne à recevoir dans leur principale demeure, sise de l’autre côté de la grande route. Mon père et son frère, plus jeune, attaché récemment à l’Administration Militaire, se trouvaient à l’armée. Mon grand-père et mon oncle maternels faisaient campagne. Ma mère restait à Paris avec mon frère, tout petit encore ; et ma sœur, à l’Hermitage, avec notre grand’mère Dentzel, nos tantes et nos jeunes cousin et cousine de Graumann.

Je n’ai pas besoin de dire avec quelle anxiété tout le monde suivait le cours des événements qui se précipitaient, ni quelle impression profonde m’ont laissée les passages continuels de troupes ; les convois de blessés, de plus en plus fréquents, par lesquels s’annonçait l’approche graduelle de l’ennemi vainqueur, et, dans les derniers jours, les bruits de bataille qui nous arrivaient de toutes parts. Ce n’est pas de la peur qu’ils me causaient, mais une rage conçentrée, de n’être pas assez grand pour