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à Paris une femme et six enfants, auxquels il envoyait la moitié de ses émoluments, tous les mois. Ce malheureux s’appelait Destigny. Ses articles violents dans la Némésis incorruptible et autres petites feuilles révolutionnaires de la fin du règne du Roi Louis-Philippe, avaient paru des titres suffisants pour justifier sa nomination, en 1848. Au fond, ce n’était pas un méchant homme : c’était un meurt-de-faim. Le besoin de vivre et d’aider sa famille à vivre fit dérailler tout d’abord, bien plus que ses convictions politiques personnelles. Depuis son arrivée à Brignoles, il s’efforçait de bien s’acquitter de ses fonctions administratives. Intelligent, actif, plein de zèle, il ne demandait pas mieux que de servir le Prince-Président, comme il servait naguère le général Cavaignac. Mais, il me semblait trop compromis dans l’intérêt de ce dernier, depuis l’élection du 10 décembre, et l’intimité de ses relations avec M. Clavier, notaire et Maire à Brignoles, membre du Conseil Général, un des candidats futurs de la liste Ledru-Rollin, rendait impossible son maintien dans le même poste.

Je transmis à M. Léon Faucher sa confession complète et ses protestations de soumission dévouée, ainsi que l’impression de pitié profonde que sa misère m’inspirait. Le Ministre en fut touché, sans doute ; mais il ne sut pas plus se décider à le replacer quelque part qu’à le révoquer en temps utile. C’est seulement après l’élection législative, où j’aurais eu tant besoin d’être secondé par un Sous-Préfet plus libre de combattre l’influence de M. Clavier dans l’arrondissement de Brignoles, que M. Destigny fut remplacé.

M. Levainville son successeur, grand et beau garçon, animé du meilleur vouloir et suffisamment capable,