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Quoi qu’il en soit, le Ministre de la Police, M. Decazes, n’attendit pas la fin des recherches qu’il avait demandées, pour inviter mon grand-père à quitter la France. La réaction royaliste n’y allait pas de main morte. Non seulement, elle appliquait indistinctement la loi de proscription du 12 janvier 1816 aux régicides de fait ou « d’intention » ; mais encore, elle expulsait provisoirement du pays les anciens conventionnels soupçonnés d’avoir été de ceux-ci comme de ceux-là. — « Frappez toujours : Dieu reconnaîtra les siens, » — commandait Blaise de Montluc à ses bourreaux. M. Decazes exilait, d’abord, sauf à rapporter sa décision, quand l’évidence ne lui permettait pas de la maintenir.

Mon grand-père, qui s’était fait conduire à Bâle, en Suisse, fut de retour au bout de quelques mois ; il vendit ses propriétés de Seine-et-Oise, et vint se fixer à Paris, dans une maison de ma grand’mère, en haut du faubourg Saint-Honoré, dont cette partie s’appelait : Faubourg du Roule. C’est là qu’il vécut, vénéré des siens ; honoré de tous les habitants de son quartier ; ignoré du reste du monde ; partageant ses loisirs entre les ouvrages de ses philosophes préférés, comme les Essais de Michel Montaigne, le Livre de la Sagesse de Pierre Charron, et les chefs-d’œuvre de l’art ancien, réunis au Musée du Louvre, que « cet homme cruel, ce buveur de sang » ne se lassait jamais de lire ou d’admirer. C’est là que, jusqu’à mon entrée dans l’Administration Départementale, je me rendais régulièrement pour le voir, l’entendre, écouter ses conseils, et qu’il mourut, plein de jours, en juin 1846.

Mon père, qui faisait partie de l’Administration de l’Armée sous le premier Empire, en qualité de Commis-