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nocturne de cet intéressant ménage, et après le dessert, le café, les liqueurs, — rien ne manquait, — lorsque nous fûmes étendus, côte à côte, dans nos sacs respectifs, ainsi que je l’ai décrit plus haut, sur une épaisse litière recouvrant de grandes pierres plates, on causa longtemps de chasses et de rencontres d’ours, et j’entendis raconter, à ce sujet, les choses les plus étonnantes ; mais, de l’aveu de tous, les plus braves sont fortement émus en présence des ours de grande espèce.

Cela me remit en mémoire un fait que m’avait rapporté le Maire d’Ustou lui-même, et qui, n’étant pas absolument à son honneur, méritait créance. Grand chasseur d’ours, renommé pour sa hardiesse, il se tenait à l’affût dans la montagne dominant son village, un fusil éprouvé dans la main ; son coutelas à la ceinture ; et guettait, assis sur le bord d’un rocher, le point par lequel devait paraître son gros gibier, lorsque, tout à coup, une énorme patte pesa sur son épaule. Se dresser, brusquement, bondir en avant dans le vide, après avoir lâché son arme, et dégringoler la montagne à toutes jambes, sans perdre un moment à regarder en arrière, s’entendant suivi, ce fut tout ce qui vint à l’idée de notre homme, tant l’instinct de la conservation l’emportait chez lui sur tout le reste. Il ne s’arrêta que dans sa maison, pour tomber, plus mort que vif, sur un siège. Presque aussitôt, son chien, de grande et forte race, fit de même sa rentrée tout haletant. La grosse patte appartenait à cet animal, fatigué de le voir immobile, ou voulant peut-être l’avertir de quelque chose. C’était son chien qui l’avait suivi dans sa fuite insensée ! Je le répète, je ne tiens pas cette aventure d un tiers, mais bien du chasseur à qui le contact inattendu, mais heureuse-