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humains, chacun d’eux a, dans son esprit, quand ce n’est pas dans son cœur, plus ou moins d’interdit. — J’emploie un mot scripturaire, pour me faire mieux comprendre de vous. — Au lieu de chercher à s’affranchir de cette possession, beaucoup s’y complaisent. Ils caressent leur marotte, que les uns cachent habilement ; que les autres ont l’imprudence de laisser voir. Au point de vue légal, ces derniers sont des aliénés ; les premiers, des gens raisonnables. Mais, au point de vue philosophique, et j’ose ajouter : au point de vue reliegieux, cette distinction, purement pratique, s’efface. À des degrés différents, les uns et les autres sont fous. Sans doute, je force un peu la note, pour la rendre plus sensible, au risque de vous paraître paradoxal. Mais, le paradoxe, lorsqu’il n’existe que dans la forme, a du bon. C’est un instrument qui frappe, et dont le choc fait entrer les vérités, comme des clous, dans les cerveaux, où ses empreintes restent profondes et durables. »

Venu dans l’Ariège pour toute autre chose, assurément, qu’y donner carrière, sur un nouveau terrain, à mon esprit d investigation toujours excité, je ne comptais même pas y faire sérieusement, comme à Nérac, de l’administration. Mais, la mission spéciale qui m’incombait, très absorbante, très fatigante au début, n’était pas de nature à m’occuper ensuite d’une manière constante. Que pouvais-je de mieux, afin d’employer mes loisirs, de plus en plus fréquents, à la fin, sinon chercher à bien remplir accessoirement les fonctions administratives dont je me trouvais officiellement titulaire ? N’avais-je pas là, d’ailleurs, un excellent moyen pour détourner l’attention publique des mesures de Haute Police dont je devais