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que ses 250 lits n’étaient pas tous affectés à des aliénés proprement dits ou à des aliénés épileptiques, presque toujours incurables ; qu’on y recevait, à titre hospitalier, des crétins, des goitreux et des idiots, de familles indigentes, et il apprit que ces malheureux provenaient de la plus splendide vallée de l’arrondissement.

Il voulut aller rechercher les causes de ce phénomène. Je l’accompagnai. Nous nous arrêtâmes, pour déjeuner, à l’entrée de la Bellelongue, dans le bourg d’Audressein. Il s’empressa d’attribuer l’existence de crétins et de goitreux dans cette localité basse, à sa position abritée de grands arbres, qui, tout en la protégeant, y maintenaient une humidité constante, et s’opposaient, disait-il, au renouvellement convenable de l’air. Je lui fis observer qu’Audressein se trouvait au confluent de deux rivières : le Lez, dont les eaux provenaient des vallées de Biros et de Bethmale, contrées de formation calcaire, pays de marbre, où les populations étaient magnifiques ; et la Bouignane, sortant de la Bellelongue, vallée au sol exclusivement alumineux, où les eaux, suintant à travers des couches d’ardoises stratifiées, ne contenaient en dissolution ni phosphates ni carbonates de chaux, et dont les habitants avaient une constitution d’aspect rachitique, due, selon mon avis, à cette particularité. Il lui fallut bien constater que tous les crétins et goitreux étaient riverains de la Bouignane et buvaient ses eaux, et qu’il n’en existait pas un sur les bords du Lez. Notre aubergiste lui certifia, d’ailleurs, que les délicieuses truites dont il nous servait avec orgueil la chair ferme et savoureuse, venaient du Lez, et qu’on négligeait celle de la Bouignane, à cause de la qualité fort médiocre de leur chair molle et sans goût.