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Il me faudrait un chapitre entier pour résumer l’ensemble de mes conversations, très intéressantes et très curieuses, avec cette femme remarquable, assez différente, me sembla-t-il, à certains égards, de ce qu’elle voulait paraître, et systématiquement révoltée contre la Société, pour ne pas se déjuger, plutôt que pour obéir à des convictions bien profondes.

Elle avait été fort étonnée de rencontrer, cantonné derrière les murs d’un vieux monastère de ce fond de province, dans un petit appartement coquet, fleuri, bien modeste, malgré tout ; vivant intellectuellement de la vie parisienne, au milieu d’occupations des plus réalistes, un jeune fonctionnaire capable de lui tenir tête sur beaucoup de questions philosophiques, religieuses, politiques ou sociales, et ne se lassait pas plus de nos causeries changeant de sujets à tout propos, que d’observer mon installation et mes habitudes d’existence.

Ce dont elle ne revenait pas, c’est que je pusse rester chrétien sincère et vivre en homme du monde comprenant toutes les élégances ; en artiste, ami du Bien, comme du Beau.

Mme Sand accusait alors plus de trente ans. Petite de taille, très brune de cheveux, avec un profil et un teint espagnols, elle était visiblement dépourvue de toute coquetterie, et j’ose dire que, par cette raison ou par l’effet du travail constant de sa pensée, elle manquait, à mes yeux, de tout charme féminin.

Je la plaisantais sur l’affectation qu’elle mettait à fumer, lorsqu’elle ne consommait, en fin de compte, que du tabac d’Orient parfumé, en cigarettes imperceptibles, allumées au moyen d’an briquet-bijou, qui tirait des étincelles d’une agate.