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Par bonheur, j’aimais toujours beaucoup les enfants.

Dès Poitiers, j’avais éprouvé qu’en s’occupant d’eux, on est assuré de la faveur des mères. On n’oserait pas, surtout quand on le croit, dire à toute provinciale qu’elle est charmante ; mais, aucune d’elles ne se formalise jamais d’entendre déclarer ses enfants adorables : loin de là.

Dans les familles bourgeoises fortunées, il restait de mode, alors, d’envoyer les jeunes garçons aux collèges de Bordeaux, d’Agen ou de Sorèze, et les petites filles, dans les pensionnats, extrêmement nombreux, d’Angoulême, ville réputée, en Gascogne, pour son bon air et pour la pureté de la prononciation française de ses habitants. On y enseignait à « parler pointu », comme on disait à Nérac, pour exprimer le langage prétentieux, à lèvres pincées, fort admiré chez les élèves de ces pensionnats lointains.

Chaque fois que je me rendais à Paris, je prenais soin de me charger des commissions de toutes les mères de ma connaissance, pour les jeunes victimes de la mode régnante, et j’allais voir celles-ci dans leurs « boîtes » respectives. Les directrices, dument autorisées, me confiaient mes petites administrées, que je faisais promener ; que je bourrais de gâteaux et de bonbons, et qu’après dîner, je répartissais entre leurs divers pensionnats, situés, du reste, dans le même quartier.

À mon retour, je leur apportais, de Paris, quelques menus objets de toilette, choisis par mes sœurs, et qui faisaient merveille. Cela me coûtait encore une journée, employée à dévaliser les pâtissiers et les confiseurs

Mais, ce n’était pas du temps perdu. Quelles joies je causais à ce petit peuple ! Quel accueil me réservaient les mamans, auxquelles je donnais des nouvelles fraîches