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cour ils allèrent attacher leurs chevaux dans l’écurie, puis ils entrèrent dans la grande salle pour fumer et boire de la bière, qu’on leur servit avec un empressement facile à concevoir, mais à laquelle ils ne goûtèrent, suivant leur habitude, qu’après avoir fait avaler aux gens de l’hôtel quelques gorgées avant eux.

Le « Général Uhrich » était parti de Paris dans la soirée du vendredi et ces événements se passaient dans la journée du samedi. Comme les nouvelles étaient pressantes et qu’il y avait à redouter une découverte, M. Duponnois résolut de devancer l’époque habituelle de ses expéditions et de partir le dimanche 20, avec MM. Thomas et Lemoine, qui s’étaient affublés des vêtements les plus misérables que l’on avait pu se procurer.

M. Duponnois imagina de placer les cages à pigeons[1] sous celles qui étaient destinées à ramener des volailles et, escorté de ses deux prétendus aides, il se mit en marche de grand matin dans la direction de Gournay, où il arriva le soir pour coucher. En route, afin de bien montrer qu’il ne redoutait aucune investigation, il eut l’heureuse idée d’acheter un lot de poissons à un pêcheur qui se trouvait devant un poste prussien chargé de la garde d’un pont.

Le commandant s’approcha pendant le marché, qui fut long à conclure et qui fut fort avantageux. Comme cet officier manifesta le désir d’avoir une carpe, M. Duponnois la lui céda à un prix tout à fait dérisoire qui mit notre ennemi en belle humeur et l’on se sépara les meilleurs amis du monde.

Ce qui restait de poisson servit au dîner des voyageurs, lorsqu’ils furent arrivés à Gournay où ils passèrent la nuit, enchantés d’avoir si bien réussi à dépister l’ennemi.

Il restait encore à accomplir la dernière partie de la tâche, la plus difficile peut-être, c’était de pénétrer dans les lignes françaises, dont les approches étaient excessivement dangereuses, et qui furent fatales à plus d’un vaillant messager.

M. Duponnois tint à accompagner les deux fugitifs jusqu’à Rouen, où il arriva dans la journée de lundi. Puis il retourna à Luzarches, où il reprit ses habitudes ordinaires comme si rien ne s’était passé. M. Grimbert est mort depuis quelques années, de sorte que nous ne pouvons lui réserver d’autre récompense que d’honorer son nom

  1. Quant aux dépêches, elles furent d’abord cachées dans le calorifère de l’habitation Pique, puis M. Meu, aidé par des conseillers municipaux, les fit passer au bureau de la poste, on trouva un voiturier dévoué, nommé Romand, qui les transporta à Gournay-en-Bray après les avoir placées sous sa voiture au moyen de planches clouées, qui formaient double fond à cette voiture. Romand, qui est mort depuis, a pu traverser les postes ennemis à l’aide de volailles qu’il avait attachées ensemble et qu’il montrait en les faisant crier, affirmant qu’il allait faire des provisions pour les camarades des sentinelles qui lui barraient le chemin.

    C’est Romand lui-même qui a donné ces détails, en déclarant n’avoir jamais été récompensé.