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SUR LA CRIMÉE

l’usage russe, exprimèrent nos souhaits réciproques pour un heureux voyage. Notre société était excellente, car c’était l’époque où l’aristocratie russe quitte Odessa, dont la chaleur et la poussière rendent le séjour désagréable, pour aller chercher la verdure et la fraîcheur sur la côte méridionale et montagneuse de la Crimée.

Après vingt heures de navigation, nous découvrîmes la terre, et une escadre de sept vaisseaux de guerre à quelque distance de Sébastopol. Bientôt cette côte hérissée de montagnes, qui, par la férocité de ses habitants aussi bien que par ses écueils, avait jadis mérité le nom de côte inhospitalière, se découvrit à nous tout entière. La pointe que nous apercevions était précisément l’ancienne Chersonèse héracléotique, où se voient encore les vestiges du temple de Diane. Cette côte est basse et composée de couches horizontales blanchâtres, qui sur leur prolongement s’élèvent vers les hautes montagnes et se terminent au monastère de Saint-Georges, contre les premières crêtes calcaires de la chaîne de Crimée. Nous relâchâmes à Yalta, où nous restâmes deux heures. Yalta, situé à peu près au centre des plus belles parties de la côte méridionale, est le port le plus voisin des maisons de campagne que les Russes construisent chaque jour au milieu de ces montagnes. Nos aimables compagnons de voyage y débarquèrent, et à huit heures du soir nous repartîmes pour Théodosia et Kertsch, où nous arrivâmes enfin le lendemain soir, après une traversée de cinquante-six heures depuis Odessa.

Kertsch, située sur le détroit qui sépare la mer d’Azof de la mer Noire, jadis appelé le Bosphore Cimmérien, était, sous le nom de Panticapée, l’ancienne capitale du royaume du Bosphore. Ce royaume, fondé par une colonie de Milésiens, vers le milieu du VIe siècle avant J.-C., dura environ 800 ans et vint se fondre dans l’empire Romain. La belle position de Panticapée pour le commerce en avait fait une ville opulente, si l’on en juge par l’immense quantité de monuments funéraires, connus sous le nom de tumulus, qui entourent la ville, et par les objets d’art précieux qu’ils renferment. Ces objets sont rassemblés dans le musée de la ville de Kertsch : nous y vîmes des sarcophages en marbre blanc, des colliers, des bagues, des bracelets d’or, un casque de bronze avec une couronne de lauriers en or, et une quantité de pièces de monnaie des rois du Bosphore ; mais les objets les plus précieux ont été envoyés à Saint-Pétersbourg, ainsi nous ne pûmes voir le bouclier de Pharnace, fils de Mithridate, trouvé il y a peu d’années dans un tumulus que les gens du pays ont nommé le Mont-d’Or, à cause de la quantité d’objets de ce métal qu’on y a trouvés et qu’on évalue à plus de soixante livres pesant.

Kertsch, sous le nom de Cerca, fut dans le moyen âge une des positions dont s’emparèrent les Génois pour y fonder un de ces établissements de commerce dignes d’un grand peuple, qui leur assurèrent la possession de la mer Noire.

Kertsch, aujourd’hui sous la dépendance de la Russie, après avoir éprouvé de grands désastres, redevient florissante ; le gouvernement l’a choisie comme station de quarantaine pour tous les bâtiments qui veulent entrer dans la mer d’Azof, et