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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

laïde. Elle lui a raconté un tas de niaiseries dont elle avait tellement bouleversé l’esprit de ma princesse que je l’en ai trouvée atterrée. Il m’a fallu l’arraisonner, pendant plus de deux heures, pour lui prouver l’absurdité de toutes ces allégations. Vous avez beau dire, ma petite, il faut que madame de Boigne ait la tête bien affaiblie. »

Madame de Salvo, trop jeune et trop timide pour discuter, répondit que je voyais peut-être en noir, mais qu’elle ne croyait pas mes facultés mentales altérées.

La comtesse de Montjoie était pourtant un esprit ferme, sain, et même perspicace ; mais voici ce qu’il en arrive de vivre exclusivement dans l’atmosphère d’une Cour quelconque.

Je crois, en vérité, les murailles de tous les palais, et surtout celles des Tuileries, imprégnées d’illusions délétères se répandant sur les têtes les plus saines, et en obscurcissant les idées. Peut-être ceux qu’on appelle les flatteurs des princes sont-ils bien souvent les premiers trompés.

Quoi qu’il en soit, l’état de madame Adélaïde était bien autrement grave que je ne l’avais cru. Le 30 décembre, sans paraître plus malade qu’elle ne m’avait semblé le 27, elle fut prise d’un étouffement très violent ; elle perdit la parole.

Le Roi, aussitôt prévenu, arriva sur-le-champ. Toute la famille royale le suivit. Madame Adélaïde saisit d’une main celle de son frère qu’elle ne lâcha plus ; l’autre était successivement tendue à la Reine et à ses neveux.

Cette cruelle scène se prolongea près de trois heures, au milieu de cette famille à genoux et en larmes. Elle expira, après des angoisses infinies, sans avoir perdu connaissance, ni recouvré la parole.