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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

cence du misérable insensé ; il s’assit paisiblement, mais sans lâcher les rasoirs.

Monsieur Delessert, à son tour, eut aussi le courage de s’asseoir près de lui, en cherchant à l’arraisonner. Il le décida enfin à poser les rasoirs sur la table, d’où les agents les firent disparaître. En priant monsieur Delessert de le quitter, il annonça le projet de faire sa toilette.

Avant d’y procéder, il se prit à écrire une lettre parfaitement bien rédigée, adressée au garde des sceaux, pour porter plainte de l’invasion de son domicile et de l’enlèvement de ses enfants, comme citoyen et comme pair de France. Il ouvrit la fenêtre et, appelant un de ses gens qu’il voyait dans la cour, lui ordonna de la porter chez le garde des sceaux.

Ce fut monsieur Delessert qui s’en chargea, et il rapporta une réponse prévenant monsieur Mortier que le garde des sceaux le recevrait immédiatement. Il fit alors une toilette très convenablement soignée, donna ordre de lui amener une voiture, et descendit tranquillement dans la cour.

À peine y était-il qu’une escouade de gens de la police se jetèrent sur lui ; il ne fit aucune résistance. Trois d’entre eux montèrent avec lui dans le fiacre, et on le conduisit dans une maison de santé. Pendant le trajet, il ne donna pas de marque de folie, quoiqu’il se plaignît constamment de l’abus de justice dont on usait envers lui.

En le fouillant, on trouva quatre rasoirs dans ses poches. Il avait laissé sur la table sa lettre restituée par l’abbé ; il y avait fait une nouvelle enveloppe, aussi soignée et fermée d’un aussi beau cachet que la première fois.

C’était pendant le paroxysme de cette matinée, où il avait l’aspect et les gestes d’un forcené, qu’il avait pris