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MORT DE MADAME ADÉLAÏDE

« Hé bien, dit le chancelier, je vais aller la chercher.

— Ah ! vous ne la connaissez pas. Elle a le cœur trop dur : elle ne viendra pas, j’en suis bien sûr. »

Le chancelier se rendit, en effet, près de la pauvre femme. Elle n’hésita pas un instant à le suivre, peut-être au risque de sa propre vie.

« Je vous amène votre femme, monsieur Mortier ; vous m’avez promis de lui laisser embrasser ses enfants, ouvrez la porte.

— Elle n’est certainement pas là, j’en suis très sûr.

— Je vous affirme que si.

— Hé bien, qu’elle parle.

Madame Mortier fit un effort désespéré pour demander ses enfants. On entendit tirer des meubles derrière une autre porte, moins forte, barricadée à l’intérieur. Les agents de police étaient rangés des deux côtés le long des murs ; au moment où la porte s’entr’ouvrait, ils se précipitèrent sur monsieur Mortier.

Celui-ci apparut à tous les assistants avec le même foulard rouge sur la tête, vêtu d’un simple caleçon à peine noué autour du corps, sa chemise ouverte sur la poitrine, et les manches retroussées au-dessus du coude, les yeux hagards et un rasoir ouvert dans chaque main : un véritable échappé de Charenton.

Une petite bonne allemande eut le courage de se glisser sous le bras de ce forcené et de se précipiter au fond de l’appartement d’où elle rapporta les enfants transis d’effroi, et procura au chancelier le bonheur de les remettre sains et saufs dans les bras de leur mère, moitié évanouie sur l’escalier, en lui enjoignant de les emmener aussitôt.

Mais il était déjà quatre heures et demie lorsque le sang-froid et la persistance du chancelier amenèrent ce résultat. La présence de tout ce monde calma l’efferves-